Les supporters des Lions indomptables et le monde entier découvrent réellement la silhouette longiligne du jeune Rigobert Song Bahanack dans la nuit du 19 au 20 juin 1994 sur la pelouse du Rose Bowl stadium de Pasadena aux Etats Unis. Pour sa 3e participation à une phase finale de la coupe du monde, le Cameroun dispute son premier match de la compétition contre la Suède devant 53194 spectateurs. Henri Michel fait des choix forts, en décidant de titulariser trois minots tous âgés de moins de 20 ans: Raymond Kalla, Marc Vivien Foe et le plus jeune d’entre eux, le porteur du numéro 3, Rigobert Song qui a tout juste 17 ans et 354 jours. Les Lions indomptables feront match nul 2 buts partout, avant de sombrer par la suite respectivement face au Brésil et à la Russie, avec au passage l’exclusion de Song face aux Auriverde à la 64e minute.
Mais, malgré cet échec américain, la carrière du joueur du Tonnerre kalara de Yaoundé va prendre un coup d’accélérateur avec dans la foulée une signature au Fc Metz. Finie alors la longue traversée du désert pour le gamin du quartier Essos à Yaoundé après une formation réussie à l’Ecole de Football des Brasseries du Cameroun. Il est d’ailleurs le major de cette toute première promotion en 1990 sans toutefois trouver un bon point d’ancrage. Exit également la grosse galère de Bafoussam, la ville qui va le forger au prix de plusieurs efforts faits de résilience et d’abnégation, où il va côtoyer au quotidien l’indigence, le dénuement, la promiscuité et la faim, n’ayant son salut que grâce à la bonté d’un enseignant d’Education physique et sportive qui finira par le prendre sous son aile avant son retour sur Yaoundé. Un proche confirme que « Pendant son adolescence, Song était considéré comme un alpha jeunesse, quelqu’un qui a assumé un rôle essentiel dans toutes les situations de football
dans sa ville natale. Il possédait déjà une détermination inébranlable alors qu’il évoluait dans les clubs locaux contre des joueurs bien au-dessus de son âge. » C’est donc un autre Song qui débarque en Moselle en août 1994,le look et le physique changent directement pour céder la place à un autre personnage plus rugueux encore et très engagé sur les pelouses. Le jeune défenseur central gagne en maturité et en expérience. Joël Müller, son entraîneur de l’époque le façonne et le fait progresser. Le défenseur camerounais devient une redoutable machine qui réduit toutes les ardeurs des attaquants de la Ligue 1. Metz est vice-champion de France en 1998 avec Song parmi les leaders; un statut qu’il endosse en sélection la même année, tout juste après la frustrante Coupe du Monde en France où les Lions indomptables sont injustement privés de second tour. Rigo s’affirme de plus en plus, les sollicitations affluent. Il signe dans la foulée à Salernitana en Série A italienne. Après cette aventure éphémère, c’est à Liverpool en Premier League qu’il atterrit, avant West Ham par la suite.Entre-temps, le capitaine des Lions indomptables du Cameroun a le temps de soulever à deux reprises le trophée de la Coupe d’Afrique des Nations en 2000 au Nigeria et deux ans plus tard au Mali. Le Cameroun est injouable sur le continent, grâce notamment à une
défense de fer emmenée par le natif de Nkenglikok au sommet de son art à Cologne en Bundesliga, mais surtout au RC Lens en ligue 1 où il fait son retour aux côtés de son mentor de toujours Joël Müller, qui il dispute la ligue des champions. Puis, suit le passage en Turquie : d’abord à Galatasaray entre 2004 et 2008 où il dispute 108 matches et inscrit 4 buts, avant de migrer à Trabzonspor là où il achève sa carrière en 2010. C’est d’ailleurs cette année-là qu’il arrête avec les Lions indomptables, juste après la foireuse coupe du monde en Afrique du Sud. Il s’estime très satisfait de son parcours, « Je suis très heureux de ma carrière. Je n’ai pas eu beaucoup de blessures. J’ai joué dans beaucoup d’équipes. J’ai monté aux jeunes comment il faut se comporter pour avoir une longue carrière. En tant que joueur, tu dois aimer ce que tu fais, avoir de la passion. Je n’ai pas gagné beaucoup de trophées ou autant d’argent que certains autres joueurs, mais je suis heureux de ce que j’ai accompli. Je suis très content d’avoir fait ce que je voulais quand j’étais jeune. J’ai quand même été pendant 10 ans capitaine des Lions et ce n’est pas rien ! », déclarait-il au micro d’un journaliste camerounais. Un palmarès de grande classe Malgré une fin houleuse, le pédigrée de «Magnan» est plus qu’élogieux autant en clubs qu’en sélection. Au total, il a disputé 446 matches en 15 saisons au sein de huit clubs pour 14 buts inscrits. Song a évolué dans quatre des cinq plus grands championnats en Europe, seule l’Espagne manque à son tableau de chasse. En sélection, il a battu tous les records de présence jusqu’ici jamais égalés : 137 sélections pour 4 buts,4 participations en phase finale de coupe du monde, 8 CAN disputées à son compteur sans interruption entre 1996 et 2010, quasiment la même longévité avec le brassard de capitaine…
Une fois sorti des terrains, le néo retraité ne va pas pour autant s’en éloigner. Pendant qu’il passe ses diplômes d’entraîneur à l’INF de Clairefontaine. Il a pour camarades de promotion son compatriote Raymond Kalla, mais aussi les Français Zinedine Zidane, Bernard Diomède et Claude Makelele. Il en sort titulaire du Brevet d’Etat et du Diplôme d’entraîneur de Football en 2012. Il a également le temps de commenter les matches comme consultant pour le compte de la chaîne Orange sports. Nommé Team Manager des Lions en 2011, il participe à sa 5e coupe du monde en 2014 au Brésil, cette fois en cadre administratif et non plus comme joueur.
Débuts difficiles comme coach Le grand saut dans la peau de l’entraîneur sera très difficile, sanctionnée par deux échecs aux côtés des A primeet des U-23 entre 2016 et 2018. Une période assez difficile pour l’homme, puisque le dimanche 2 octobre 2016, le monde entier apprend avec stupeur son accident vasculaire cérébral à son domicile à Yaoundé. S’en suit alors pour lui un long combat pour rester en vie; d’abord au Cameroun, puis en France, ceci grâce aux prières de ses nombreux fans, de sa famille, ainsi qu’au dévouement des différents personnels soignants, le tout sous l’implication directe du couple
présidentiel du Cameroun qui va déployer les grands moyens pour permettre au Magnan national de remporter son combat contre la maladie. Ce sera chose faite le 1er avril 2017, lorsque l’aéroport international de Yaoundé Nsimalen bondé de monde pour la circonstance, accueille en grande pompe le retour de Rigo, quoique amoindri, mais tenant sur ses deux pieds. Celui qui était parti en urgence six mois plus tôt revenait avec plus d’assurance, c’était le énième combat gagné par un homme dont la pugnacité n’était plus à démontrer. Il raconte lui même cette pénible étape,« J’avais laissé la porte ouverte parce que j’attendais un visiteur. Si je l’avais laissée fermée, je serais mort. Je ne savais pas ce qui m’arrivait. J’étais totalement inconscient. Je ne savais même pas que je me battais entre la vie et la mort. Alors que je tombais et me sentais impuissant, mon chien s’est mis à aboyer bruyamment. Ce qui a alerté mon voisin qui a aussitôt appelé une ambulance. C’était en effet un miracle ! Quand je me
suis réveillé du coma, je ne pesais plus que 60 kilogrammes. Incroyable pour un gars aussi gros que moi ! (…) Je me suis battu pour rester en vie. Je ne pouvais pas quitter ceux qui priaient pour moi. Je me suis dit que ce n’était pas encore mon heure », a-t-il confié à la BBC.
L’on pensait alors que les stigmates de la maladie allaient réfréner et tempérer les ardeurs du capitaine courage, que non! Ambitieux et décidé à forger lui-même sa destinée, il bénéficie de la confiance de Samuel Eto’o devenu depuis le 11 décembre 2021 président de la fédération camerounaise de football. C’est ainsi que le 28 février 2022, à 25 jours de la double confrontation contre l’Algérie, décisive et qualificative pour la coupe du monde Qatar 2022, Rigobert Song Bahanack est nommé manager sélectionneur des Lions indomptables. « Le Cameroun et le maillot des Lions indomptables m’ont tout donné. Je suis reconnaissant. Je suis honoré d’avoir été choisi pour encadrer la sélection fanion du Cameroun. Au-delà du privilège et de la joie qui m’animent, je mesure le sens des responsabilités qui me sont confiées. Je donnerai tout, comme je l’ai fait en tant que joueur et capitaine de la sélection, pour mériter la confiance que m’accordent l’Etat du Cameroun, le président de la Fédération camerounaise de Football, Samuel Eto’o et son Comité Exécutif. Mon staff et moi avons besoin de soutien et des prières des millions de Camerounais pour écrire de nouvelles page de la mythique histoire
des Lions indomptables. », déclare-t-il dès l’officialisation de sa nomination. La suite, tout le monde la connait…
La théorie du danger dont le personnage est dépositaire depuis l’exploit du 29 mars 2022 à Blida, pourrait résumer à elle seule la vie et la carrière de Rigobert Song. La succes story qu’il vit aujourd’hui n’a pas été un long fleuve tranquille. En attendant le prochain chapitre qui s’écrira au Qatar à l’occasion de sa 6e coupe du monde avec le Cameroun, l’homme aux sept vies profite de ses plaisirs.
